Chers amis de l’Ardèche, chers amis de La Rioja,

Le Pape François a reconnu le martyre pour leur fidélité au Christ et à l’Eglise de Monseigneur Enrique Angelli, évêque de La Rioja ; du Père Gabriel Longueville prêtre fidei donum du diocèse de Viviers ; du Père Carlos de Dios Murias, prêtre de l’ordre des frères mineurs conventuels ; de Wenceslao Pedernera, laïc marié et père de famille. Ils ont été béatifiés à La Rioja en Argentine le 27 avril dernier.

Cette béatification ne concerne pas uniquement quatre hommes martyrs qui sont honorés, mais elle honore les chrétiens de l’Ardèche, elle honore les hommes et les femmes qui habitent ce pays, elle nous honore nous-mêmes.
Oui, par cette béatification, notre Ardèche est vraiment bénie, nous sommes bénis. Nous sommes un peuple de saints, un peuple Saint.

Et pour vous qui allez être confirmés, comme pour nous, c’est une année exceptionnelle.
Nous découvrons que ces quatre hommes n’étaient pas différents de nous.
Nous découvrons aussi que leur martyre n’est pas un évènement du passé, mais il nous concerne ici et maintenant en Ardèche.

Par eux, aujourd’hui, Dieu nous donne la grâce d’être renvoyés à nous-mêmes, à notre vocation de baptisés, à l’appel que Dieu nous adresse.
Et cet appel que Dieu nous adresse, c’est de ressembler à son Fils Jésus-Christ, en espérant que nous puissions dire un jour comme Saint Paul : « ce n’est plus moi qui vit, c’est la Christ qui vit en moi ».

En fait, ces quatre hommes ont réalisé ce que nous cherchons nous-mêmes à être maintenant et pour les années qui viennent dans notre Eglise d’Ardèche : faire l’expérience d’être sauvés pour tous ceux et celles d’entre vous qui sont perdus, persécutés, pauvres, tordus, victimes en tous genres, déracinés, tristes.
Bref, que faire l’expérience que l’Evangile du Salut est pour nous tous dès maintenant, qui que nous soyons, et quoi que nous ayons fait.
Et pour nous, goûter à « la douce et réconfortante joie d’annoncer l’Evangile » comme le dit le Pape François.

L’Ardèche peut-elle avoir des martyrs aujourd’hui, comme Gabriel l’a été en 1976 en Argentine ?
Faut-il avoir une dictature sanguinaire comme à l’époque en Argentine pour que Dieu suscite des martyrs ?
Le martyre a-t-il encore un sens pour les chrétiens de l’Ardèche ?
Et pourtant, le fait est que le martyre est pour nous aujourd’hui, c’est notre vocation de baptisés, de confirmés.
Cela paraît violent de dire cela, car le mot « martyre » qui se traduit en français par le mot « témoignage »est réservé au sang qui coule.
Quant au mot« témoignage », il est parfois réduit à de la parole énoncée à d’autres, comme s’il suffisait de « savoir » que Jésus est le Fils de Dieu pour être sauvé.
Il ne s’agit pas d’abord de le savoir, mais de le vivre.

N’oublions jamais que Pierre, le premier des Apôtres avait fait cette déclaration inouïe à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».
Et quelques versets suivants, ce même Pierre avait résisté à Jésus et il s’était entendu dire par Jésus : « Passe derrière moi, Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ».

Le martyre de Gabriel et de ses compagnons nous renvoie à nous-mêmes : comment sommes- nous des témoins du Christ, mort et ressuscité, pas pour lui-même, mais pour nous les hommes et pour notre salut ?
Il y a bien sûr le temps des mots, mais il y a le temps des actes.
Leur martyre nous invite à la coïncidence des mots et des actes, à la manière même de Dieu : « le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous ».
Par leur martyre, Dieu nous appelle aujourd’hui à cette certitude : pouvoir dire comme Saint Paul : « Je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi »

Mais comment faire ? Ou plutôt, comment être

Gabriel et ses compagnons ne sont pas tombés de nulle part, comme vous tous non plus.
Votre présence n’est pas un hasard.
La voie a été ouverte à Gabriel depuis qu’il est né.
Il a marché sur des chemins que l’Eglise d’Ardèche avait ouverts par tellement d’hommes et des femmes.

Pensons d’abord à Etables, à sa famille, ses parents, que je salue ici, à ses nombreux frères et sœurs, mais plus largement aussi, ses amis et tous ceux qu’il a pu rencontrer et qui ont été pour Gabriel, comme Jean Baptiste : « voici l’Agneau de Dieu ».
Pensons à ceux qui ont représenté pour Gabriel, des frères dans la foi dans la discrétion, des hommes et des femmes qui cherchaient Dieu, qui cherchaient un sens à la vie, qui posaient des questions.
Gabriel rencontrera dès sa jeunesse une multitude de témoins, de chercheurs de Dieu qui auront suivi Jésus-Christ. Des laïcs, des prêtres, des religieux et religieuses, des évêques.

Pour qu’un homme comme Gabriel devienne un jour martyr, il y a eu des chrétiens qui lui ont transmis ce qu’il y a de meilleur, l’essentiel :leur certitude que seul Jésus-Christ sauve ce qui est perdu et personne d’autre.

Il est sûr que ceux qui ont témoigné auprès de Gabriel, étaient crédibles, d’abord par leur vie et peut-être aussi par leur intelligence de la vie, de leur savoir faire, de leur savoir être.
Gabriel a grandi dans une Eglise d’hommes et de femmes demeurant fidèlement et discrètement depuis des siècles au du Seigneur.
Oui, pour qu’un homme comme Gabriel soit aujourd’hui le bienheureux martyr, il faut une multitude d’inconnus qui ont chacun rayonné d’une parcelle de la vérité

C’est pourquoi Gabriel nous exhorte aujourd’hui à vivre un vrai compagnonnage. Dans un vrai compagnonnage, ce sont des paroles essentielles qui sont échangées, pas de bavardage, pas de temps perdu pour ne rien dire.
Avoir rencontré le Messie, c’est être au cœur de ce qu’il y a de plus vital.
Oser reconnaître que ce que nous cherchons de bon pour nos vies et celles des autres vient de l’Esprit Saint, mais reconnaître aussi que la réponse à nos aspirations les plus profondes de justice, de paix, de pardon, ne vient que Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ et en Jésus-Christ.

Pour Gabriel, pour ses trois compagnons, pour vous chers Confirmands, pour nous tous ici, Jésus est quelqu’un de concret, de vivant.
Cela nous renvoie à l’espérance, à l’espérance, au désir d’Israël que Gabriel a médité dans les psaumes.

Au crayon, en marge de son psautier apparaissent des dessins, comme si Dieu passait par sa main pour déjà incarner telle ou telle parole, autrement que par la parole.

Au fond ce qui compte pour Jésus n’est pas ce que Gabriel a fait mais ce qu’il a été.
Ce dont témoigne d’abord Gabriel, c’est que l’appel de Jésus à le suivre est un projet de vie, et ce projet de vie, c’est d’être vraiment quelqu’un, avoir un nom, être reconnu dignement.

C’est ce qu’il se passe aujourd’hui pour vous qui allez recevoir le Saint Esprit de Dieu. C’est ce qu’il s’est passé pour nous tous qui sommes chrétiens.
Nous avons reçu une identité nouvelle qui n’est liée ni à la famille, ni à la chair, ni au sang, mais qui nous rejoint dans ce qu’il y a de plus intime en nous.
Gabriel a reçu de Jésus un nouveau nom. Non pas qu’il ait changé son état civil, mais il a été appelé à devenir prêtre, à être prêtre.
Comme si Jésus lui avait dit : Tu es Gabriel, tu t’appelleras « prêtre ».
Et nous ? Tu es « untel », tu t’appelleras … ?

Gabriel attendait un ailleurs. Cela se manifestait par son goût pour les langues étrangères.
Il a pu accueillir le Messie venant d’ailleurs, parce que son identité profonde le poussait ailleurs.
Il en est de même pour ses compagnons de martyre.
Toutes les vocations ont été honorées par leur martyre : un évêque, un prêtre diocésain, un prêtre religieux, un laïc marié et père de famille. D’ailleurs, le martyre de Wenceslao a été enraciné dans la foi et la vie de leur couple ; le martyre de Mgr Angelelli a été enraciné dans l’écoute de l’Evangile et dans l’écoute de son Peuple ; les prêtres Gabriel et Carlos dans leur confiance en leur évêque et dans la réalisation des béatitudes.

Les quatre martyrs nous montrent qu’avoir rencontré Jésus ne suffit pas ; encore faut-il accueillir l’Esprit Saint.
C’est le problème de ceux qui suivent Jésus, mais ne croient pas.
Ne pas croire, c’est voir Jésus comme quelqu’un d’extérieur à soi, admirable, certes, mais extérieur.
Les quatre martyrs ont cru qu’ils pouvaient être comme Jésus.

Gabriel et ses compagnons ne se sont pas contentés d’avoir Jésus seulement comme modèle et puis de compter sur eux-mêmes pour vivre comme si l’humanité était capable de s’en sortir par elle-même.

Jésus a indiqué lui-même qu’il n’est pas le but de la foi, mais qu’il est le médiateur qui reçoit les disciples que le Père lui donne. Jésus dit aux disciples que finalement, ce n’est d’eux-mêmes qu’ils vont vers Jésus, mais que c’est le Père qui leur donne de passer par Jésus pour aller vers lui.

Ainsi, ce n’est pas naturel, mais c’est surnaturel de répondre à l’appel de Dieu.
Lorsque Gabriel a répondu à l’appel de Dieu, il est entré dans un combat surnaturel.
Ce combat, Gabriel nous invite à le vivre avec lui en noue mettant dans l’Esprit de
Jésus.

Jésus est l’Homme qui s’abaisse pour laver les pieds de ses disciples, Il se met au niveau de nos pieds, au niveau de ce qu’il a de plus bas en nous.
Jésus aura appelé Gabriel à la conversion : se laisser laver les pieds par Jésus.

Pas facile pour Gabriel d’accepter d’être servi par Jésus au lieu de le servir. Lui Gabriel que Jésus place à la tête d’une paroisse, est rencontré par Jésus dans ce qu’il y a de plus éloigné de sa tête : les pieds.
Les pieds qui permettent de marcher, qui sont en contact avec le sol, la terre, la poussière sont les premiers lieux de conversion.
Gabriel a beaucoup utilisé ses pieds pour arpenter, à pieds ou en pédalant, les rues de Chamical et visiter les maisons et leurs habitants.
Gabriel incarnait par son corps cette proximité de Jésus avec son peuple. Tout son corps était tourné vers les autres. Il ne traînait pas les pieds pour encourager, rencontrer, aimer.
Alors Gabriel a pu demander à Jésus : lave moi pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête.
Il a considéré que tout son corps était au service des autres, comme Jésus était à son service.
C’est seulement à cette condition de laisser Jésus se mettre à son service que Gabriela pu se mettre au service des autres.
Gabriel lui-même dans ses actes est devenu le Serviteur des serviteurs de Dieu.

Que de chemin parcouru entre la première rencontre de Jésus avec Gabriel. et cette ultime nuit !
Au bout du chemin avec Jésus, au moment où Jésus part vers le Père, Jésus pose les même trois fragiles questions à Gabriel comme il l’avait fait à Pierre à la fin de l’Evangile de Jean : « Pierre m’aimes-tu ? », « Gabriel, m’aimes-tu ? »
Jésus s’est adressé à Gabriel en ami, Gabriel a répondu en ami à Jésus.

Gabriel avait été appelés depuis longtemps, et il avait répondu par ses engagements, sa fidélité, mais aussi par ses résistances, ses incompréhensions, ses refus.
Gabriel a donné beaucoup : il a laissé un métier, des parents, un pays, des frères, des sœurs. Mais donner beaucoup, donner tout, n’était pas se donner.
Il fallait encore choisir de ne pas choisir, partir dans l’inconnu, se laisser faire, se donner soi-même avec la foi en Dieu pour seule certitude.

Jésus s’est reconnu en Gabriel et en ses compagnons.
Vous les confirmands d’aujourd’hui, vous les confirmés, Jésus se reconnaît en vous.

Le martyre de Gabriel pour la gloire de Dieu et le salut des hommes et des femmes de Chamical sera identique au martyre de Jésus sur la croix : pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Au fond, le plus important pour nous tous ici, ce n’est pas de savoir comment nous allons vivre, mais par quel genre de mort nous allons mourir.
Le martyre à la manière du Christ demande à ouvrir les yeux sur les situations catastrophiques.

Là où nous vivons, ici en Ardèche, il y a des situations catastrophiques qui font que des hommes ne sont pas des hommes à part entière :des dictatures morales, psychologiques, sociologiques, politiques, religieuses, culturelles, sexuelles, autant de dictatures où la violence règne, où la mort est à l’œuvre.
Autant de situations qui dégradent les êtres humains.
Il s’agit bien de chercher un don de soi pour les autres et ainsi, aller jusqu’au bout du témoignage rendu au roi des martyrs, Jésus Christ.

Autre chose est de répondre à des questions que l’on se pose, autre chose est de répondre à l’appel de quelqu’un qui nous aime, au plus intime de nous-mêmes, mieux que nous-mêmes.

Gabriel Carlos, Enrique , Wenceslao ont été baptisés dans leur sang.

La parole du prophète Isaïe s’est ainsi réalisée pour Gabriel et ses compagnons :

« Je t’ai destiné à être l’homme de mon Alliance avec le peuple pour relever le pays, pour répartir les terres dévastées, pour dire aux captifs : sortez de votre prison !, à ceux qui sont dans les ténèbres : venez à la lumière ! ».

Ainsi, que nous, nous gardions au cœur la devise de Mgr Angelelli :
Une oreille collée sur le Peuple, l’autre collée sur l’Évangile.

Lo más importante para todos los que estamos aquí no es cómo vamos a vivir, sino qué tipo de muerte vamos a morir.
El martirio cristiano requiere abrir los ojos ante situaciones catastróficas.
Donde vivimos, aquí en Ardèche, hay situaciones catastróficas que hacen que los hombres no sean hombres por derecho propio : moral, psicológico, sociológico, político, religioso, cultural, dictaduras sexuales, tantas dictaduras donde La violencia reina, donde la muerte está en acciòn.
Tantas situaciones que degradan a los seres humanos.
Se trata de buscar el don de uno mismo para los demás y, así, ir al final del testimonio dado al rey de los mártires, Jesucristo.

Otra cosa es responder a las preguntas que nos hacemos, otra cosa es responder al llamado de alguien que nos ama, el más íntimo de nosotros mismos, mejor que nosotros mismos.
Gabriel Carlos, Enrique, Wenceslao fueron bautizados en su sangre.
La palabra del profeta Isaías se realizó así para Gabriel y sus compañeros :

« Te he destinado a ser el hombre de mi alianza con la gente para levantar la tierra, para difundir las tierras devastadas, para decirles a los cautivos : ¡sal de tu prisión !, a los que están en la oscuridad : ven a la luz ! « .
Por lo tanto, nosotros, hemos mantenido en el corazón las palabras del obispo Angelelli :
Un oìdoal pueblo, la otra al evangelio.

Amen

+Jean-Louis BALSA
Evêque de Viviers